Une histoire de madeleines, suite : la madeleine de Proust

La madeleine de Proust

Et maintenant que vous avez une bonne recette de madeleines, qu’en est-il de la madeleine de Proust ? Car, s’il est vrai que l’on entend souvent parler de cette « madeleine », peu de gens (y compris des Français) comprennent vraiment de quoi il s’agit.

Alors, pour vous aider à y voir plus clair du côté de cette « madeleine de Proust », voici le texte dont il est question. Il s’agit d’un extrait du roman « Du Côté de chez Swann », écrit au tout début du 20ème siècle et publié en 1913. Du Côté de chez Swann est la première partie du cycle de Proust « à la Recherche du temps perdu » (dont la deuxième partie est « à l’Ombre des jeunes filles en fleurs » et la troisième « Le Côté de Guermantes »).

Dans « Du Côté de chez Swann », Marcel Proust relate ses souvenirs d’enfant, à Combray (en Normandie), il évoque de façon assez intense son rapport à sa mère et le temps passé dans ce petit village normand.

 

« Il y avait déjà bien des années que, de Combray, tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de
mon coucher, n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère, voyant que j’avais froid, me proposa de me faire prendre, contre mon habitude, un peu de thé. Je refusai d’abord et, je ne sais pourquoi, me ravisai. Elle envoya chercher un de ces gâteaux courts et dodus appelés Petites Madeleines qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint- Jacques. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée des miettes du gâteau toucha mon palais, je tressaillis, attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire, de la même façon qu’opère l’amour, en me remplissant d’une essence précieuse: ou plutôt cette essence n’était pas en moi, elle était moi. J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. D’où avait pu me venir cette puissante joie? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de même nature. D’où venait-elle? Que signifiait-elle? Où l’appréhender? (…) Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. Ce goût c’était celui du petit morceau de madeleine que le dimanche matin à Combray (parce que ce jour-là je ne sortais pas avant l’heure de la messe), quand j’allais lui dire bonjour dans sa chambre, ma tante Léonie m’offrait après l’avoir trempé dans son infusion de thé ou de tilleul. La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé avant que je n’y eusse goûté; peut-être parce que, en ayant souvent aperçu depuis, sans en manger, sur les tablettes des pâtissiers, leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents; peut-être parce que de ces souvenirs abandonnés si longtemps hors de la mémoire, rien ne survivait, tout s’était désagrégé; les formes – et celle aussi du petit coquillage de pâtisserie, si grassement sensuel, sous son plissage sévère et dévot – s’étaient abolies, ou, ensommeillées, avaient perdu la force d’expansion qui leur eût permis de rejoindre la conscience. Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. Et dès que j’eus reconnu le goût du morceau de madeleine trempé dans le tilleul que me donnait ma tante (quoique je ne susse pas encore et dusse remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me rendait si heureux), aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où était sa chambre, vint comme un décor de théâtre s’appliquer au petit pavillon, donnant sur le jardin, qu’on avait construit pour mes parents sur ses derrières (ce pan tronqué que seul j’avais revu jusque là) ; et avec la maison, la ville, depuis le matin jusqu’au soir et par tous les temps, la Place où on m’envoyait avant déjeuner, les rues où j’allais faire des courses, les chemins qu’on prenait si le temps était beau. Et comme dans ce jeu où les Japonais s’amusent à tremper dans un bol de porcelaine rempli d’eau, de petits morceaux de papier jusque-là indistincts qui, à peine y sont-ils plongés s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables, de même maintenant toutes les fleurs de notre jardin et celles du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout Combray et ses environs, tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé. »

PROUST Marcel, Du côté de chez Swann, GF Flammarion, Paris, 1987, p. 140-145

Questions de compréhension

Pour vous aider à mieux appréhender ce texte et à le lire avec plus de précision, voici quelques questions de compréhension.

  1. De quelle façon Marcel décrit-il les madeleines ? 
  2. Quel effet produit la madeleine sur l’attitude et les sentiments de Marcel ?
  3. Le “Marcel” qui évoque cette sensation dans le premier paragraphe est-il enfant ou adulte ?
  4. Quel souvenir lui revient alors à l’esprit ? 
  5. Quelle conséquence a ce premier souvenir ?

Et les réponses sont à télécharger ici afin de vérifier vos réponses : CE Madeleine Proust Correction

L’explication du texte de Proust en vidéo :

Bonne lecture et bon travail, nous nous retrouvons très vite pour d’autres découvertes aussi bien linguistiques que littéraires ou historiques. Et notez sur votre agenda que mardi je vous proposerai la vidéo de cet article, ce sera l’occasion pour moi de revenir un peu plus en détail sur ce texte 🙂

Pourquoi s’entraîner à lire Marcel Proust en français ?

Même si Marcel Proust est relativement difficile à comprendre, pourquoi est-il important de povuoir lire ses textes quand on apprend le français ?

Lire Marcel Proust, bien que difficile, est important pour plusieurs raisons lorsqu’on apprend le français :

  1. Richesse du vocabulaire : Proust utilise un vocabulaire très riche et varié. Lire ses œuvres expose les apprenants à un large éventail de mots et d’expressions, ce qui enrichit leur propre vocabulaire.
  2. Complexité de la syntaxe : les phrases de Proust sont souvent longues et complexes. Comprendre sa syntaxe aide à maîtriser des structures grammaticales avancées et à améliorer ses compétences en rédaction.
  3. Réflexion sur le temps et la mémoire : les thèmes centraux de Proust, comme la mémoire et le passage du temps, sont universels et offrent des perspectives profondes sur la condition humaine. Cela peut stimuler des discussions philosophiques et littéraires enrichissantes.
  4. Culture et histoire : les œuvres de Proust, en particulier « À la recherche du temps perdu », sont des témoignages précieux de la société française de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle. Elles offrent un aperçu détaillé des mœurs, des coutumes et de la vie quotidienne de l’époque.
  5. Style littéraire : Proust est connu pour son style unique et sa capacité à capturer des moments éphémères avec une grande précision. Étudier son style permet d’apprécier les subtilités de la langue française et de développer une sensibilité littéraire.
  6. Défi intellectuel : lire Proust représente un défi qui peut être très gratifiant. Réussir à comprendre et à apprécier ses textes procure un sentiment d’accomplissement et de confiance en ses compétences linguistiques.

En somme, lire Marcel Proust peut grandement enrichir l’apprentissage du français en offrant une profondeur culturelle, littéraire et linguistique inégalée.

 

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