Pourquoi lire les « classiques » de la didactique des langues est important ? Partie 2

Dans un monde où l’information circule à une vitesse vertigineuse et où les méthodes d’enseignement semblent se renouveler sans cesse, une question légitime se pose pour les enseignants de Français Langue Étrangère (FLE) en formation ou en exercice : est-il vraiment utile de consacrer du temps à la lecture d’ouvrages théoriques datant de plusieurs décennies ? Ces livres que l’on qualifie parfois, à tort, de « vieux » ou « dépassés » méritent-ils encore notre attention dans un contexte éducatif en constante évolution ?

La réponse est un « oui » catégorique et voici pourquoi ces références fondamentales conservent toute leur pertinence et leur valeur pour tout professionnel sérieux du FLE.

Si j’ai décidé de rédiger cet article, c’est parce qu’au cours de ma carrière, j’ai vu trop d’étudiants essayer de prendre de dangereux raccourcis. Ils pensent que lire un résumé, voire le résumé d’un simple extrait d’ouvrage est suffisant à « se faire une idée » des propos d’un auteur ou de sa base théorique. Or, regardons les choses en face, il n’en est rien. En tant que professeur de FLE ou futur enseignant en formation, vous ne pouvez pas faire l’économie d’aller puiser aux sources, même si celles-ci vous semblent trop « lourdes » à lire (plus de 200 pages), ou trop « vieilles » (datant des années 1970 par exemple).

Avant de nous engager dans notre article, qui je l’espère saura vous convaincre, je veux simplement vous poser deux questions :

  • Si vous deviez juger une personne, quel serait votre choix ? L’interroger par vous-même afin de pouvoir vous faire une idée précise ? Ou laisser mener cet interrogatoire par quelqu’un d’autre qui irait raconter cet interrogatoire à une tierce personne qui serait elle-même chargée de rédiger un résumé de cet interrogatoire ? Est-ce que vous pourriez sérieusement juger une personne à partir du résumé du résumé d’un entretien ?
  • Pourquoi rit-on tant quand on joue au téléphone arabe, c’est-à-dire quand on se raconte une histoire jusqu’à sa plus complète déformation, quitte à en devenir grotesque ?

La réponse est très simple dans les deux cas : aller puiser une information à sa source, ou se laisser raconter une histoire déformée par plusieurs interprétations est totalement différent, et nous le savons très bien.

Je vous souhaite donc une bonne lecture, en espérant que cet article saura vous convaincre de l’importance de fournir l’effort d’aller dans les textes premiers, les textes de base de la discipline au lieu de vous contenter d’un résumé ou du compte-rendu biaisé de quelqu’un d’autre.

Aux sources de notre discipline

Lorsqu’on étudie ou enseigne le FLE, on s’inscrit dans une tradition intellectuelle et pédagogique qui s’est construite progressivement. Les ouvrages fondateurs de notre discipline ne sont pas simplement des étapes historiques : ils constituent les fondations conceptuelles sur lesquelles repose l’ensemble de nos pratiques actuelles.

Des auteurs comme Jean-Pierre Cuq, Christian Puren, Louis Porcher, Sophie Moirand ou Louise Dabène ont formulé des concepts, développé des approches et proposé des réflexions qui, loin d’être obsolètes, continuent de nourrir et d’éclairer notre compréhension des processus d’enseignement et d’apprentissage des langues.

Ces textes originaux présentent les idées dans leur complexité et leur richesse initiales, avant que les interprétations successives, les simplifications et parfois les déformations ne viennent en altérer la substance.

Se prémunir contre les malentendus théoriques

L’un des risques majeurs pour un enseignant est de bâtir sa pratique sur des malentendus théoriques. Combien de fois avons-nous entendu parler de « l’approche actionnelle » ou de « l’interculturalité » sans que ces notions soient véritablement comprises dans toute leur profondeur ?

Lorsqu’on se contente de lire « le résumé d’un résumé issu d’un petit extrait », on s’expose à plusieurs écueils :

  • La décontextualisation des concepts, qui perdent leur cohérence interne
  • La simplification excessive qui réduit des théories complexes à quelques formules
  • La perte des nuances et des précautions méthodologiques formulées par les auteurs
  • L’oubli des conditions d’émergence et d’application de ces théories

Retourner aux textes sources permet d’éviter ces pièges et de s’approprier véritablement les concepts, avec toutes leurs implications et leurs subtilités.

Une pensée didactique plus structurée et plus solide

La lecture des ouvrages fondamentaux offre bien plus qu’une simple connaissance historique : elle structure notre pensée didactique. Ces textes nous apprennent à :

  • Reconnaître les filiations entre les différentes approches pédagogiques
  • Identifier les principes récurrents qui traversent l’histoire de la didactique
  • Comprendre les réactions et contre-réactions qui ont façonné l’évolution de notre discipline
  • Développer un regard critique sur les « innovations » contemporaines

En maîtrisant ces références, l’enseignant acquiert une grille de lecture qui lui permet d’analyser avec discernement les nouvelles propositions méthodologiques. Il devient capable de distinguer les véritables avancées des simples effets de mode pédagogique.

Une rigueur intellectuelle indispensable

Dans un domaine aussi sensible que l’enseignement des langues, où les enjeux humains, culturels et sociaux sont considérables, la rigueur intellectuelle n’est pas un luxe mais une nécessité.

Citer correctement les sources originales, comprendre précisément les concepts que l’on mobilise, et les utiliser à bon escient dans sa pratique relève d’une éthique professionnelle fondamentale. Cette rigueur permet également :

  • De légitimer ses choix pédagogiques face aux apprenants, aux collègues ou à sa hiérarchie
  • De contribuer de manière constructive aux débats didactiques contemporains
  • D’éviter les contresens qui peuvent conduire à des pratiques contre-productives
  • De transmettre aux nouvelles générations d’enseignants un savoir authentique et vérifié

Un pont entre théorie et pratique

Contrairement à une idée reçue, ces ouvrages théoriques ne sont pas déconnectés des réalités de la classe. Les grands auteurs de la didactique des langues étaient pour la plupart des praticiens avant d’être des théoriciens. Leurs réflexions sont nées d’observations concrètes et visent à résoudre des problèmes pédagogiques réels.

La lecture de ces œuvres permet d’établir un dialogue fécond entre théorie et pratique :

  • Les concepts théoriques éclairent notre compréhension des situations d’apprentissage
  • Les difficultés rencontrées en classe nous amènent à revisiter et à approfondir ces concepts
  • Cette dialectique constante enrichit notre pratique et notre réflexion

Comment aborder ces lectures fondamentales ?

Pour tirer le meilleur parti de ces lectures exigeantes mais enrichissantes, voici quelques conseils :

  1. Commencer par des ouvrages de synthèse récents et fiables qui permettent de se repérer dans l’histoire des idées didactiques
  2. Identifier ensuite les concepts clés qui vous intéressent particulièrement et remonter aux textes sources
  3. Pratiquer une lecture active : prendre des notes, formuler des questions, établir des liens avec votre expérience d’enseignement
  4. Échanger avec des collègues ou participer à des groupes de lecture pour confronter vos interprétations
  5. Essayer d’appliquer consciemment ces concepts dans votre pratique et observer les résultats

Conclusion : une démarche d’excellence professionnelle

En définitive, la lecture des ouvrages classiques de didactique n’est pas un exercice d’érudition stérile ou une marque de conservatisme. C’est au contraire une démarche d’excellence professionnelle qui témoigne d’un engagement profond envers notre métier et nos apprenants.

Ces textes fondateurs nous offrent des points d’ancrage solides dans un paysage didactique parfois confus. Ils nous permettent de nous inscrire dans une tradition vivante tout en développant notre propre réflexion. Ils nous rappellent que l’enseignement des langues, au-delà des techniques et des méthodes, est avant tout une aventure intellectuelle et humaine qui s’enrichit de ses racines.

Alors, n’hésitons pas à consacrer du temps à ces lectures qui, loin d’être poussiéreuses, continuent d’éclairer notre chemin d’enseignants.

 

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